Musica Humanum Est !
Par Guillaume, mercredi 16 juin 2010 à 22:40 :: Musique :: #28 :: rss
Avant la fête d'Annecy sur le Pâquier ce vendredi et le concert quasi complet (ruez-vous sur les 180 places restantes !) à l'auditorium de Lyon le 26 Juin, il maestro Etienne Perruchon a bien voulu répondre à quelques questions sur son art. J'ai pris soin bien sûr de traduire ce petit entretien en français pour les lecteurs qui ne lisent pas encore le dogorien !
Musique !
Le dogorien est une langue inventée, un "trompe l'oreille" comme tu aimes si bien dire, mais comment choisis-tu les sonorités pour que cela fonctionne en trompe l'oreille ?
Je suis très sévère avec les paroliers en ce qui concerne la musicalité des mots. Un simple texte poétique, aussi beau soit-il, n'est pas forcément une bon texte de chanson. Alors pour DOGORA c'était simple, je n'avais qu'à penser à cela puisque le problème du sens était réglé.
Les phonèmes sont-il d'après toi intimement liés à des émotions ?
C'est possible. En tout cas chez moi c'est évident. Quand j'entends sonner certaines langues, des sensations différentes s'emparent de moi. Un mot, une phrase dans une langue que je ne connais pas me transportent vers des émotions particulières.
Pourquoi écrire pour des enfants, je veux dire, pas de la musique pour que les enfants l'écoutent mais surtout la chantent en chœur et en soliste ?
Tout d'abord, j'aime particulièrement le timbre des voix d'enfants. Et puis j'aime associer à ces timbres si jeunes des propos artistiques plus sérieux que ce qu'on leur propose habituellement.
Comment expliques-tu que depuis Britten, il y ait si peu d'œuvre pour enfants ?
Peut-être par ce que les compositeurs ne comprennent pas l'énorme potentiel émotionnel des voix d'enfants. Ils sont souvent, je pense, freinés par l'ambitus* restreint des tessitures d'enfants.
Tu as enregistré à Sofia pour des raisons de budget, mais comment expliques-tu l'incroyable talent et qualité des choeurs à l'Est ? Pour Tchikidan ce sont les mêmes enfants que pour Dogora ?
Ce n'est pas avant tout pour des questions de budget que j'ai enregistré TCHIKIDAN à Sofia, mais bien parce-que je voulais retrouver ces voix si parfaitement adaptées au dogorien. Ils ont une technique particulière de chant, bien sûr, mais surtout un timbre particulier je pense directement lié à l'accent modelé par leur langue. On y revient, l'émotion des phonèmes ...
Peux-tu évoquer Metodi Matakieb et son extraordinaire physique d'acteur ?
Il est slave jusqu'au bout de la moustache ! Le patos lui va bien au teint ! il comprend si bien ma musique...
Tu insistes sur le terme populaire, peux tu nous préciser pourquoi ? ce que cela signifie pour toi ?
Populaire pour moi signifie accessible au plus grand nombre. cela devrait-être le cas de toutes les musiques non ?
La musique classique et ses concerts sont très codifiés ce qui rebutent parfois un certain public. Toi tu fais chanter le public à la fin des concerts, peux tu nous en parler ?
Je pense que le meilleur moyen de faire de l'art populaire est de le rendre partageable. La musique à travers le chant rend cela tout à fait possible. Comprendre une musique c'est la faire sienne, donc s'en imprégner. Quoi de mieux que de la chanter soi-même ! Je vais même plus loin maintenant puisque j'introduis dans mes oeuvres le concept de participation du public. Je veux faire chanter les gens pour les rendre plus sensibles, qu'ils vivent cette expérience physique de l'émotion musicale. Je pense qu'un monde fait de gens plus sensibles serait un monde plus humain. Quel bonheur cela serait un monde plus humain...
Peux-tu expliquer ta méthode de travail ? D'abord la musique ? la mélodie ? les voix ? l'orchestration te vient tout de suite ?
Quand j'écris de la musique vocale, je me mets au piano et je chante. En général j'ai en amont une idée de mélodie en tête, mais je vérifie en chantant moi-même qu'une émotion forte puisse en sortir. Une fois cela fait, j'orchestre immédiatement pour en faire une partition complète.
TCHIKIDAN me fait penser à un carnaval, au charivari du moyen âge où les pauvres prenaient le pouvoir une journée, ici les enfants ? qu'en penses-tu ?
Oui tu as raison. J'ai d'ailleurs écrit un petit texte dans ce sens, parlant de TCHIKIDAN la fête des enfants dogoriens. J'aime cette idée de nomades saltimbanques . Quand j'étais petit je rêvais de faire parti d'un cirque d'enfants "LOS MUCHACHOS", mais ils étaient tous orphelins et moi je n'étais orphelin "que" de Père ! Je leur ai même écrit pour leur demander une sorte de "dérogation" pour faire parti de la troupe. Ça a beaucoup amusé ma Mère !
Cirque Los Muchachos (1969)
Pancracio est le clou du spectacle du Cirque Los Muchachos
Tu as beaucoup composé pour le théâtre, Dogora et Tchikidan évoquent à l'écoute un récit, pour toi la musique doit-elle raconter quelque chose ?
Oui absolument, mais pas forcément pour tenir un discours littéraire avec une morale etc. Non simplement mon envie première à l'écriture d'une oeuvre c'est que le public et l'interprète se sentent dans un état différent entre le début et la fin de la musique. Je voudrais prendre les gens par la main et leur dire "suivez-moi, je vais vous raconter quelque chose".
Ta musique est une aventure humaine. As-tu envisagé dès le début le côté fraternel, pédagogique, découverte, participatif ? et par la suite la pub Vinci, un pont humain... l'entraide, je suppose que tu n'as pas accepté cette publicité par hasard...
Quand j'écris une oeuvre comme DOGORA ou TCHIKIDAN, je n'ai pas d'idée préalable sur l'effet qu'elle doit avoir sur les gens. J'invente juste la musique que j'aime entendre et je constate ce qui se passe. Bien sûr je me rends compte de ce que cela provoque et je ne tourne pas le dos à cela. J'essaye simplement de comprendre et d'accompagner les effets collatéraux de ma musique en toute humilité.
Finalement, Dogora c'est un peu la la tour de Babel ?
Ça me plait comme image ! j'accepte !
*Le mot ambitus désigne les notes extrêmes (la note la plus basse et la note la plus haute) d’une partition.
Je suis très sévère avec les paroliers en ce qui concerne la musicalité des mots. Un simple texte poétique, aussi beau soit-il, n'est pas forcément une bon texte de chanson. Alors pour DOGORA c'était simple, je n'avais qu'à penser à cela puisque le problème du sens était réglé.
Les phonèmes sont-il d'après toi intimement liés à des émotions ?
C'est possible. En tout cas chez moi c'est évident. Quand j'entends sonner certaines langues, des sensations différentes s'emparent de moi. Un mot, une phrase dans une langue que je ne connais pas me transportent vers des émotions particulières.
Pourquoi écrire pour des enfants, je veux dire, pas de la musique pour que les enfants l'écoutent mais surtout la chantent en chœur et en soliste ?
Tout d'abord, j'aime particulièrement le timbre des voix d'enfants. Et puis j'aime associer à ces timbres si jeunes des propos artistiques plus sérieux que ce qu'on leur propose habituellement.
Comment expliques-tu que depuis Britten, il y ait si peu d'œuvre pour enfants ?
Peut-être par ce que les compositeurs ne comprennent pas l'énorme potentiel émotionnel des voix d'enfants. Ils sont souvent, je pense, freinés par l'ambitus* restreint des tessitures d'enfants.
Tu as enregistré à Sofia pour des raisons de budget, mais comment expliques-tu l'incroyable talent et qualité des choeurs à l'Est ? Pour Tchikidan ce sont les mêmes enfants que pour Dogora ?
Ce n'est pas avant tout pour des questions de budget que j'ai enregistré TCHIKIDAN à Sofia, mais bien parce-que je voulais retrouver ces voix si parfaitement adaptées au dogorien. Ils ont une technique particulière de chant, bien sûr, mais surtout un timbre particulier je pense directement lié à l'accent modelé par leur langue. On y revient, l'émotion des phonèmes ...
Peux-tu évoquer Metodi Matakieb et son extraordinaire physique d'acteur ?
Il est slave jusqu'au bout de la moustache ! Le patos lui va bien au teint ! il comprend si bien ma musique...
Tu insistes sur le terme populaire, peux tu nous préciser pourquoi ? ce que cela signifie pour toi ?
Populaire pour moi signifie accessible au plus grand nombre. cela devrait-être le cas de toutes les musiques non ?
La musique classique et ses concerts sont très codifiés ce qui rebutent parfois un certain public. Toi tu fais chanter le public à la fin des concerts, peux tu nous en parler ?
Je pense que le meilleur moyen de faire de l'art populaire est de le rendre partageable. La musique à travers le chant rend cela tout à fait possible. Comprendre une musique c'est la faire sienne, donc s'en imprégner. Quoi de mieux que de la chanter soi-même ! Je vais même plus loin maintenant puisque j'introduis dans mes oeuvres le concept de participation du public. Je veux faire chanter les gens pour les rendre plus sensibles, qu'ils vivent cette expérience physique de l'émotion musicale. Je pense qu'un monde fait de gens plus sensibles serait un monde plus humain. Quel bonheur cela serait un monde plus humain...
Peux-tu expliquer ta méthode de travail ? D'abord la musique ? la mélodie ? les voix ? l'orchestration te vient tout de suite ?
Quand j'écris de la musique vocale, je me mets au piano et je chante. En général j'ai en amont une idée de mélodie en tête, mais je vérifie en chantant moi-même qu'une émotion forte puisse en sortir. Une fois cela fait, j'orchestre immédiatement pour en faire une partition complète.
TCHIKIDAN me fait penser à un carnaval, au charivari du moyen âge où les pauvres prenaient le pouvoir une journée, ici les enfants ? qu'en penses-tu ?
Oui tu as raison. J'ai d'ailleurs écrit un petit texte dans ce sens, parlant de TCHIKIDAN la fête des enfants dogoriens. J'aime cette idée de nomades saltimbanques . Quand j'étais petit je rêvais de faire parti d'un cirque d'enfants "LOS MUCHACHOS", mais ils étaient tous orphelins et moi je n'étais orphelin "que" de Père ! Je leur ai même écrit pour leur demander une sorte de "dérogation" pour faire parti de la troupe. Ça a beaucoup amusé ma Mère !
Cirque Los Muchachos (1969)
Tu as beaucoup composé pour le théâtre, Dogora et Tchikidan évoquent à l'écoute un récit, pour toi la musique doit-elle raconter quelque chose ?
Oui absolument, mais pas forcément pour tenir un discours littéraire avec une morale etc. Non simplement mon envie première à l'écriture d'une oeuvre c'est que le public et l'interprète se sentent dans un état différent entre le début et la fin de la musique. Je voudrais prendre les gens par la main et leur dire "suivez-moi, je vais vous raconter quelque chose".
Ta musique est une aventure humaine. As-tu envisagé dès le début le côté fraternel, pédagogique, découverte, participatif ? et par la suite la pub Vinci, un pont humain... l'entraide, je suppose que tu n'as pas accepté cette publicité par hasard...
Quand j'écris une oeuvre comme DOGORA ou TCHIKIDAN, je n'ai pas d'idée préalable sur l'effet qu'elle doit avoir sur les gens. J'invente juste la musique que j'aime entendre et je constate ce qui se passe. Bien sûr je me rends compte de ce que cela provoque et je ne tourne pas le dos à cela. J'essaye simplement de comprendre et d'accompagner les effets collatéraux de ma musique en toute humilité.
Finalement, Dogora c'est un peu la la tour de Babel ?
Ça me plait comme image ! j'accepte !
Guimauve @ 06/2010
*Le mot ambitus désigne les notes extrêmes (la note la plus basse et la note la plus haute) d’une partition.
Commentaires
1. Le jeudi 17 juin 2010 à 08:58, par Lou
2. Le samedi 4 septembre 2010 à 22:26, par Richard MARTINEZ
3. Le jeudi 14 octobre 2010 à 13:46, par SYLVIE
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